Douve, première figure (solo)

Le solo Douve, première figure interprété par Tatiana Julien est le premier volet en forme courte du projet Douve. Il est rentré, indépendamment du trio, au répertoire de la compagnie.

Elle se tient là, au milieu de tout ce qui fut. Fragile sémaphore de chair, elle chancelle dans sa veille, vacille et tombe. Quels vides la creusent, venus soudain la soustraire aux communes lois de la pesanteur ? Elle danse pour que se relèvent les murs, pour que se soulèvent les souvenirs. Elle détient ces secrets, prêtresse immobile, elle connaît les gestes de guérison, les philtres qui vainquent et la mort et l’oubli. Elle oscille devant le gouffre, elle est devenue la preuve, irréfutable, tout juste cadavre, que la Terre est ronde. Elle se tient là, où toute voix s’est tue. Elle aurait pu, comme autrefois, danser la ronde des squelettes, faire craquer tous les vieux os cramoisis, dépoussiérer les gestes vermoulus : elle ne le fait pas. Elle traverse, jeune fille encore, et les seins lourds, les forêts fraîches où gisent les déjà morts, les flammes tôt éteintes, les âmes tristes, les amours oubliées. Et, au grand péril de sa chair arrachée aux branches qui résistent, elle ne cède pas : elle se tient, là. Comme il est doux, l’incendie à ses joues ! Quel allègement soudain, tout cet air dans la chair ! Plutôt qu’en la résurrection, elle s’acharne en la vision de ce village éclairé, de l’autre côté, où existent et demeurent les morts.